Féminisme : mot explosif, chargé de batailles, d'identifications et de contradictions. Mot d'importance donc pour la collection Le mot est faible, dont la professeure en études de genre Éléonore Lépinard s'empare ici avec brio pour le recharger d'une exigence toujours renouvelée de penser ses propres contradictions et de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation.
Un mot explosif, qui serait pour certain·es, à chaque époque, porteur
d'excès, d'une demande d'égalité risquant de renverser l'ordre établi,
d'un désir d'imposer de nouvelles identités ou de prescrire un nouveau
langage. Un mot brûlant aussi, dont l'incandescence est aujourd'hui
ravivée, à coups de hashtags, de témoignages et de colères rendues
publiques, de manifestations et de chorégraphies à dimension
planétaire. Un mot porteur de contradictions également, car la tentation
est toujours grande d'imposer une définition commune et légitime du
féminisme pour toutes celles et ceux qui voudraient se revendiquer de ce
projet politique, et le risque tout aussi grand que cette définition se
révèle excluante. Les rassemblements de toutes, #NousToutes,
contrastent ainsi avec les conflits et colères, les #NousAussi clamés par
les exclu·e·x·s d'un discours qui se veut universaliste mais qui ne
manquerait pas de toujours ériger des frontières, des clôtures autour
d'un " bon " féminisme, accessible à certaines et pas à d'autres...
Face à tout cela et à ces avalanches de tendances ou de versions
(féminisme radical, business feminism, féminisme matérialiste, afroféminisme,
transféminisme, féminisme queer, écoféminisme...), on peut
se demander si le mot peut désigner un projet commun dont les
contours seraient identifiables. Comment un mouvement qui semble
s'énoncer au nomd'un sujet qui a l'apparence de l'évidence, les femmes,
peut-il s'avérer si protéiforme ? Comment peut-il être étiré jusqu'aux
limites de ses possibilités et de son histoire puisque, dans certains
contextes, il devient revendiqué par des fractions de ceux-là même qui
l'ont tant combattu, les idéologies de droite voire d'extrême droite ? Y at-
il encore un dénominateur commun ? Le féminisme est-il voué à
l'éclatement et à la récupération ou peut-il continuer de nourrir nos
imaginaires, nos désirs, nos luttes et nos vies ?
L'autrice défend ici brillamment que ces luttes et ces conflits sont
essentiels au féminisme, au sens où le féminisme porte une exigence
toujours renouvelée de penser ses contradictions, de répondre à celles
qui en contestent les frontières, de réinventer de nouvelles pratiques
d'émancipation. Pour autant, accepter l'importance de ces conflits n'est
pas céder au relativisme : toutes les versions du féminisme ne sont pas
bonnes à adopter ou équivalentes. Loin de là.
[-]